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LA DECOUVERTE DU GAZ VA-T-ELLE CHANGER LA DONNE POLITIQUE DE LA TURQUIE ?

Le ministre turc de l’économie, Berat Albayrak, a déclaré que la découverte d’un grand gisement de gaz naturel au large des côtes turques de la mer Noire allait changer l’axe [politique] de la Turquie.

« Ni l’Ouest, ni l’Est, le nouvel axe de la Turquie est la Turquie », a déclaré Albayrak, le gendre du président turc Recep Tayyip Erdogan. La découverte, estimée à 320 milliards de mètres cubes (bcm) de gaz en haute mer, marque un jour historique pour la Turquie, a déclaré Erdogan, le début d’une nouvelle ère.

Erdogan a annoncé que la production sur le site pourrait commencer d’ici 2023, date à laquelle les Turcs se rendront aux urnes pour les élections présidentielles et parlementaires. Les responsables d’Ankara espèrent que la découverte permettra de répondre aux besoins en gaz naturel de la Turquie pendant 7-8 ans, et de rapporter 65 milliards de dollars à l’économie nationale.

Une euphorie sans précédent règne dans les médias pro-Erdogan. La propagande parle de « moment turc », de « la Turquie en voie de devenir une puissance mondiale ». Tout cela est compréhensible dans un pays avec un PIB par habitant d’à peine 9 000 dollars, une économie en difficulté et une monnaie nationale en chute libre – et qui a besoin d’histoires épiques pour maintenir les électeurs dans le domaine de l’espoir. Dans quelle mesure ce nouvel espoir turc est-il fondé sur des faits ? Le « moment turc »

pourrait-il vraiment arriver ? La Turquie sera-t-elle une puissance mondiale avec 320 milliards de mètres cubes de gaz naturel ?

Il y a plusieurs raisons d’être prudent face à l’optimisme des Turcs.

Les découvertes d’hydrocarbures sous forme de « nouvelles de dernière minute » font partie de la machine de propagande d’Erdogan depuis 2004.

« C’est la neuvième découverte depuis lors… J’espérais qu’ils découvrent cette fois-ci de l’essence prête à l’emploi », a dit le chroniqueur Yılmaz Özdil en plaisantant.

Il pourrait être utile de comparer la découverte de 320 milliards de mètres cubes de gaz en Turquie avec les réserves prouvées de certains pays qui ne sont pas des « puissances mondiales ». Turkménistan, 12,1 billions (12 100 milliards) de mètres cubes (bmc) ; Algérie, 4,5 bmc ; Egypte, 2,2 bmc ; Kazakhstan, 1,8 bmc ; Ouzbékistan, 1,5 bmc ; Oman, 677 mmc ; Pakistan, 567 mmc ; Bangladesh, 549 mmc ; Pérou, 375 mmc ; et Angola, 343 mmc. Ce n’est pas vraiment le club d’élite de la puissance mondiale.

Les experts restent prudents.

« Il y a beaucoup d’inconnues », a déclaré l’analyste Atilla Yesilada de Global Source Partners. « Nous ne savons pas combien cela va coûter pour l’extraire, quelle est la pureté du gaz, tout cela à un moment où les prix du gaz atteignent des niveaux historiquement bas. »

« La Turquie, poursuit Yesilada, est engagée dans des contrats à long terme d’achat de gaz par pipeline à l’Iran, l’Azerbaïdjan et la Russie. Vous ne pouvez pas simplement vous retirer de ces contrats… Vendre du gaz sur le marché mondial ne sera pas facile non plus, car il y a une offre excédentaire ».

Ashley Sherman de Wood Mackenzie a déclaré au Financial Times :

« C’est une estimation basée sur un simple forage de découverte qui devra être confirmée par d’autres forage d’un puits d’appréciation. » Sinem Adar, chercheur à l’Institut allemand pour les affaires internationales et de sécurité à Berlin, a déclaré que le moment de l’annonce et le battage médiatique qui l’a entourée semblent en partie découler de la nécessité de créer une certaine « effervescence » pour détourner l’attention des problèmes économiques. Les tsars de l’économie d’Erdogan espéraient apparemment que l’annonce très médiatisée de la découverte de gaz par le président inverserait la baisse de 20 % de la livre turque depuis le début de l’année. Au lieu d’aller de l’avant, la livre est restée légèrement plus faible par rapport aux principales devises occidentales lors des journées boursières de vendredi et lundi.

Ironiquement, le jour même où Erdogan a annoncé la découverte, Fitch Ratings a révisé les perspectives de défaut de paiement des émetteurs turcs à long terme de « stable » à « négatif ».

Fitch a également averti que le PIB de la Turquie se réduirait de 10 % au deuxième trimestre 2020. Une crise économique imminente force Erdogan à consolider sa base d’électeurs par des histoires épiques de la puissance turque mondiale – y compris militaire.

En juillet, Erdogan a converti une église orthodoxe byzantine monumentale du sixième siècle, Sainte-Sophie, en une mosquée, qui a fait le bonheur de millions de Turcs musulmans conservateurs et nationalistes. Le 21 août, Erdogan a également publié un décret pour ouvrir au culte musulman une autre église orthodoxe, la Kariye (ou Chora), vieille de 1000 ans, qui était auparavant un musée populaire d’Istanbul.

Erdogan a également ordonné une escalade des tensions militaires dans la mer Égée et la Méditerranée avec la Grèce. Il a envoyé des forces de combat en Irak et dans le nord de la Syrie, ainsi que des formateurs et du matériel militaire en Libye. « Le défi militaire incessant de la Turquie contre les puissances mondiales sur terre et sur mer » est à l’origine de centaines d’histoires d’héroïsme turc dans les médias, qui sont largement contrôlés par Erdogan et ses copains d’affaires.

Voici maintenant la promesse de dizaines de milliards de gaz-dollars du marchand de rêves turc. Selon des experts, la production du champ de la mer Noire pourrait commencer dans 7 à 10 ans, au mieux. Erdogan a promis une production en 2023. Au cours de cette année électorale, les électeurs turcs pourraient remettre en question la disponibilité du gaz naturel ou, plus réaliste, ils pourraient demander à Erdogan pourquoi ils continuent à payer des factures de gaz élevées pour chauffer leurs maisons.

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