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LA FRANCE TENTE DE CONVAINCRE LES ÉTATS-UNIS DE NE PAS LA LAISSER TOMBER DANS LE SAHEL

À l'approche de l'élection présidentielle, l'administration Trump envisage de retirer une partie ou la totalité des troupes américaines d'Afrique de l'Ouest, où l'armée française combat depuis 2013.

Une présence militaire de près de trente ans en Somalie, dont quatorze ans de traque des shebabs. Plus d'une quinzaine d'années de soutien au Nigeria et à ses voisins dans la lutte contre Boko Haram. Plus de vingt ans de présence aussi dans les pays du Sahel, pour les aider à combattre les nombreux groupes djihadistes qui sévissent dans la région. Pour Donald Trump, ces théâtres sur lesquels l'armée américaine est engagée en Afrique depuis parfois plusieurs décennies font partie de ce qu'il appelle «the endless wars», soit «les guerres sans fin», aux côtés de l'Afghanistan ou de l'Irak. Lors de sa campagne de 2016, le président américain s'était engagé à mettre un terme à ces opérations extérieures, qu'il juge trop coûteuses pour l'Amérique.

Même si le nombre important de troupes américaines actuellement déployées à l'étranger montre que les États-Unis n'ont pas vraiment réduit leur présence militaire dans le monde depuis l'arrivée de Trump au pouvoir, celui-ci ne semble ne pas avoir perdu de vue sa promesse de faire revenir les «boys» à la maison. Au contraire, il s'agit d'un argument de campagne que le président, en pleine campagne pour sa réélection, cherche de nouveau à vendre à son électorat.

L'accord de paix signé avec les talibans le 29 février 2020 à Doha, au Qatar, prévoit d'ailleurs le retrait graduel des quelque 13.000 soldats américains d'Afghanistan sous quatorze mois –à condition que les islamistes en respectent les termes jusqu'au bout.

Méconnaissance des enjeux

À quelques mois de l'élection présidentielle, il existe un autre théâtre de guerre où le retrait américain pourrait aller beaucoup plus vite: le Sahel. Dans cette zone composée entre autres du Mali, du Burkina Faso, du Niger, du Tchad et de la Mauritanie, l'armée américaine dispose d'une force de près de 1.300 militaires, une part non négligeable de ses 6.000 effectifs répartis à travers le continent africain.

À la différence de l'Afghanistan ou de l'Irak, où une partie de la population réclame le départ des États-Unis, dans le Sahel en proie à l'insécurité, l'US Army est vivement sollicitée, non seulement par les acteurs locaux mais aussi par la communauté internationale.

Seulement voilà: la région n'intéresse guère Donald Trump, de l'aveu de plusieurs diplomates américains.

«L'administration Trump ne considère pas que les djihadistes du Sahel constituent un danger direct pour la sécurité des États-Unis. L'Iran obnubile beaucoup plus le Pentagone que le Mali. Et Donald Trump, personnellement, ne considère pas l'Afrique comme un enjeu stratégique majeur. Il en a une profonde méconnaissance. C'est un continent qui ne représente pas un enjeu électoral pour lui. Montrer les muscles face à la Chine dans le Pacifique, parler de guerre commerciale contre le géant chinois est plus porteur électoralement chez les ouvriers américains. Le citoyen moyen américain ne sait pas où se trouve le Sahel», résume Jeffrey Hawkins, ancien ambassadeur des États-Unis en Centrafrique, dans une interview sur TV5 Monde.

Résultat, le département de la Défense envisage de réduire drastiquement le nombre de soldats américains présents en Afrique de l'Ouest, voire d'opérer un retrait pur et simple. Selon plusieurs sources militaires, quelques dizaines de forces spéciales qui opéraient dans le Sahel ont d'ores et déjà été redéployées ailleurs, pour être remplacées par de simples formateurs.

À l'Élysée comme au ministère français des Armées, ces annonces ont fait l'effet d'une bombe, d'autant qu'elles sont venues d'un allié jusqu'ici fidèle et impliqué dans la guerre que mène la France depuis maintenant sept ans au Sahel.

Depuis le début de son intervention en janvier 2013 contre les groupes terroristes au nord du Mali, la France a pu compter sur le soutien des États-Unis, dont les militaires sur le terrain appuient discrètement l'armée française via des moyens techniques devenus indispensables.

«L'armée américaine joue un rôle crucial dans le soutien logistique à Barkhane. Sans l'apport des gros-porteurs américains capables de transporter les blindés français d'un point à un autre, il est très compliqué pour les forces terrestres de se projeter dans une région grande comme l'Europe de l'Ouest. Les avions de chasse bombardiers français qui frappent des cibles djihadistes sont ravitaillés en vol par des avions américains», souligne Jeffrey Hawkins, l'ancien ambassadeur américain.

Outre ce soutien logistique, les forces américaines assistent l'opération Barkhane en fournissant du renseignement sur les mouvements des djihadistes grâce à leurs nombreux drones de surveillance –des appareils indispensables à la guerre du XXIe siècle, mais qui manquent encore cruellement à l'armée française.

Pour faciliter la collecte d'informations sur les djihadistes, les États-Unis ont installé depuis 2017 une importante base de drones dans le nord du Niger, près d'Agadez, en plein cœur du désert. Construite pour un coût de 110 millions de dollars, elle sert désormais de plateforme de surveillance pour l'ensemble du Sahel.

En dehors de l'aide qu'elle apporte à l'opération Barkhane, l'US Army participe également à la formation des militaires des pays du Sahel. Chaque année, l'Africom (le Commandement des États-Unis pour l'Afrique, dont le quartier général se trouve à Stuttgart, en Allemagne) organise un exercice d'envergure à destination des forces spéciales du continent dénommé Flintlock.

Le dernier exercice a eu lieu en février dernier dans le désert mauritanien. Il a réuni 1.600 soldats d'une trentaine de pays africains et occidentaux, dont la France, la Belgique et le Canada. Le désengagement américain du Sahel devrait également avoir un impact sur ce programme, qui existe depuis 2005.

Efforts diplomatiques

Alors que la France vient de renforcer son contingent dans le Sahel avec l'envoi de 600 militaires supplémentaires, ce qui fait passer l'opération Barkhane de 4.500 à 5.100 effectifs, les autorités françaises ne comprennent pas que, du côté de l'administration américaine, l'on n'ait pas pris la mesure de la gravité des enjeux sur le terrain. Depuis quelques mois, la situation sécuritaire s'est en effet dégradée, avec une multiplication des attaques djihadistes dans la zone dite des trois frontières (Mali, Burkina Faso et Niger), aussi appelée le Liptako-Gourma.

Selon le chef du Bureau des Nations unies pour l'Afrique de l'Ouest et le Sahel, le terrorisme a fait au moins 4.000 morts en 2019 dans la région, civils et militaires confondus.

Pas de quoi faire pleurer dans les chaumières pour le Pentagone, dont la nouvelle doctrine est de se focaliser sur «les menaces réelles des États-Unis», c'est-à-dire la Chine et la Russie. L'administration Trump évoque également le coût «beaucoup trop élevé» de ses opérations dans le Sahel et notamment de son soutien à la France, qui est en première ligne. Ravitaillement en vol des Rafale, transport des troupes, collecte de renseignements sur les djihadistes, le montant de l'assistance américaine aux soldats français est estimé à plus de 45 millions de dollars par an. Une goutte d'eau dans le colossal budget annuel du département de la Défense, qui s'élève à 800 milliards de dollars, relèvent plusieurs analystes.

Depuis que Washington brandit sérieusement la menace de couper son aide logistique, la France joue de tout son poids pour convaincre l'allié américain de ne pas l'abandonner dans le Sahel –une guerre dans laquelle elle se sent déjà seule.

«Nous espérons que les États-Unis prendront conscience que l'enjeu du terrorisme se passe aussi là.» Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères

Lors de ses voeux à la presse en janvier, le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian n'a pas hésité à utiliser des mots chocs qui peuvent parler à l'administration Trump, arguant que les djihadistes de la région représentent une menace pour la sécurité mondiale aussi importante que les membres du groupe État islamique qui sévirent ou sévissent encore en Irak et en Syrie.

«Les États-Unis s'interrogent sur le soutien logistique qu'ils apportent et sur la durabilité de ce soutien. Nous espérons qu'ils prendront conscience que l'enjeu du terrorisme se passe aussi là [dans le Sahel] et qu'ils seront suffisamment lucides pour garder ce partenariat. [...] Ce qui est en jeu, c'est un espace beaucoup plus grand. [Le terrorisme dans le Sahel], c'est une dynamique destructrice qui vise à déstabiliser les États», avait souligné le ministre.

Pour marteler ce message à Donald Trump et à ses conseillers en sécurité, Paris avait même dépêché le 27 janvier dernier à Washington la ministre des Armées Florence Parly. Mais après une rencontre avec son homologue américain, celle-ci n'avait semble-t-il pas obtenu grand-chose.

«Nous consulterons nos partenaires avant toute décision», s'est contenté de déclarer Mark Esper, le secrétaire américain à la Défense, lors de sa conférence de presse commune avec Florence Parly.

Depuis, Emmanuel Macron multiplie les actions diplomatiques pour tenter de convaincre Trump et le Pentagone de faire marche arrière. «Les discussions continuent. Le président a eu plusieurs fois au téléphone Donald Trump pour évoquer le sujet, et on espère que les Américains maintiendront leur soutien logistique», confie un membre de l'entourage du président français. Plusieurs spécialistes sont toutefois beaucoup moins optimistes quant à la capacité de la France à convaincre Trump de renoncer à son projet de réduire la présence américaine au Sahel. C'est le cas de Judd Devermont, ancien analyste à la CIA et aujourd'hui directeur du programme Afrique au Center for Strategic and International Studies (CSIS). Il ne croit que peu à l'éventualité d'un changement d'avis du président américain et de ses conseillers: «Je ne crois pas que le lobbying de la France aura un impact sur la décision finale de l'administration Trump. Alors que la situation sécuritaire dans le Sahel est alarmante, les responsables américains ont réitéré que leur principale préoccupation est la concurrence avec la Chine. Ce changement de priorité a sapé les arguments français sur l'importance du Sahel.»

Grogne du Congrès

Malgré le pessimisme de ces observateurs, la bataille de la France pour garder les États-Unis à ses côtés dans le Sahel n'est pas totalement perdue. Elle peut compter sur le Congrès américain, dont plusieurs membres (républicains comme démocrates) se mobilisent actuellement pour contrer la volonté du Pentagone de désengager les troupes américaines du continent africain. Parmi ces élus vent debout contre le département de la Défense sur le dossier, on compte un fidèle parmi les fidèles du président Donald Trump, l'influent sénateur Lindsey Graham. Selon la presse américaine, celui-ci aurait affirmé: «Je ferai de la vie de Mark Esper un enfer si le Pentagone venait à opter pour un retrait total des troupes américaines du Sahel.» Le 15 janvier, le sénateur républicain et son collègue démocrate Chris Coons ont adressé un courrier commun au secrétaire de la Défense, pour faire part de leur «grave préoccupation concernant les informations faisant état d'une éventuelle décision de réduire ou de retirer complètement les forces armées américaines du Sahel».

«Bien que nous soutenons les orientations de la stratégie de défense nationale de 2018 et le désir de faire davantage pour nous concentrer sur nos concurrents proches, nous ne devons pas oublier la menace continue que représente l'extrémisme violent pour nos intérêts et les États-Unis. De plus, le maintien des forces d'Africom [dans le Sahel] sert de frein à la présence croissante de nos concurrents comme la Chine et la Russie, qui continuent d'étendre leur influence à travers le continent», ont plaidé les deux sénateurs, qui accusent le Pentagone de ne pas avoir consulté le Congrès sur le sujet.

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