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FAUT-IL AVOIR PEUR DU HEZBOLLAH APRES LA CATASTROPHE AU LIBAN?

Le Hezbollah nie toute implication dans l’explosion du 4 août, mais beaucoup craignent que le mouvement ne profite du marasme pour renforcer sa mainmise sur le pays.

Mouvement allié du régime de Bachar el-Assad et de l’Iran, le Hezbollah veillerait aux intérêts du Moyen-Orient menacé par un axe formé par les États-Unis, l’Arabie Saoudite et Israël (en guerre avec le Liban depuis des décennies). Bras armé du régime iranien pour les uns, mettant en danger la stabilité du Liban et de la région pour les autres, que doit-on penser du Hezbollah, doit-on en avoir peur?

Alors que le Hezbollah nie avec force toute implication dans l’explosion du 4 août dernier, beaucoup d’observateurs et de Libanais craignent que le mouvement ne profite du marasme pour asseoir encore plus sa mainmise sur un pays dévasté.

Une organisation terroriste?

Apparu lors de la guerre civile de 1975, ce mouvement politique et militaire, chiite, qui interprète la charia de façon plus stricte que les Frères Musulmans, est officiellement fondé en 1982 et rejoint pour la première fois, et officiellement, le gouvernement après les élections législatives de 2005.

Seul parti libanais qui n’ait jamais été désarmé, sa section paramilitaire et son réseau international en font une force qui serait plus puissante que l’armée libanaise. Ce n’est pas sans raison que plusieurs pays, dont les États-Unis, classent ce mouvement parmi les organisations terroristes.

L’Union Européenne et la France font, elles, un subtil distinguo -totalement factice pour de nombreux spécialistes- entre la branche paramilitaire, associée au terrorisme, et la branche politique, qui ne le serait pas. Le Royaume-Uni en 2019 et l’Allemagne en 2020, les Pays-Bas, l’Australie ont interdit toutes les activités du Hezbollah sur leurs territoires. Et quand on pense acte terroriste au Liban, on pense immédiatement à l’assassinat de Rafic Hariri en 2005.

À qui a profité le crime?

Le monde y a vu la main du Hezbollah et de ses alliés syriens. D’ailleurs, en 2011, Hassan Nasrallah, son leader, conscient de sa puissance et de sa quasi-immunité, n’avait-il pas juré que les suspects ne seraient jamais arrêtés? L’histoire tragique de ces derniers jours lui donne raison puisque l’annonce du verdict du Tribunal Spécial des Nations-Unies pour le Liban (TSL), attendue pour le 7 août, a été reportée au 18 août en raison de la catastrophe du 4 août. Le nom des quatre accusés est connu depuis près de dix ans: il s’agit de quatre hauts responsables du Hezbollah, dont Moustapha Badr ad-Din, tué par une frappe israélienne à Damas en 2016.

Peut-on imaginer pareille situation dans un autre État? Un Premier ministre assassiné et le chef d’un parti siégeant au Parlement déclarant que ses militants accusés ne seront jamais arrêtés? Cette tragédie a été suivie en 2008 d’un véritable coup d’État.

Violence, confessionnalisme et disparition de l’état de droit

Le Hezbollah a déclenché une action armée à la suite de la décision du gouvernement libanais, en théorie légitime et souverain, de démanteler son réseau de télécommunication et de limoger le directeur de la sécurité de l’aéroport de Beyrouth, considéré comme proche du mouvement. Ingérence intolérable de la Justice dans le fonctionnement des domaines réservés du Hezbollah, qui contrôle notamment le secteur clef de l’aéroport, au terme d’un savant découpage (dépeçage) confessionnel de Beyrouth.

Le 8 mai dernier, Hassan Nasrallah, dans une intervention télévisée, affirmait que cette décision était une déclaration de guerre et, devant le refus du Premier ministre d’y renoncer, il a mis ses menaces à exécution. Hassan Nasrallah a, alors, immédiatement déclaré que le Hezbollah trancherait la main de ceux qui veulent désarmer la “résistance”. Le Hezbollah et ses alliés ont, dans la foulée, attaqué au lance-roquettes la maison de Saad Hariri, tous les bureaux et journaux proches du parti Courant du Futur représentant les sunnites modérés et ont pris d’assaut tous les quartiers sunnites de Beyrouth, encerclé les membres du gouvernement protégés par l’armée.

Si les chrétiens ne sont pas entrés dans le conflit, dans le Chouf, les Druzes et le Hezbollah se sont affrontés et des conflits ont également éclaté à Tripoli. Chacun pourra tirer, de ces faits, ses propres conclusions.

Les accords de Doha ont permis de mettre fin à la crise, mais le camp du Hezbollah a obtenu une minorité de blocage au Parlement lui permettant de faire tomber le gouvernement. Ce qu’il fera début 2011 pour entraver la mission du Tribunal Spécial pour le Liban, obtenant le ralliement forcé de Walid Joumblatt, le leader druze, craignant de voir à nouveau la région du Chouf, berceau de sa communauté, à nouveau menacé. Politique, violence, confessionnalisme et au total impuissance et disparition de l’état de droit. L’arsenal du Hezbollah, censé être utilisé pour défendre l’intégrité territoriale du Liban au Sud du pays, a clairement servi à imposer non seulement sa domination politique (faisant plier le gouvernement) mais aussi son impunité puisque sa présence au pouvoir lui permet d’entraver le fonctionnement des institutions. La branche militaire sert à merveille les desseins de la branche politique, au Liban, dans la région, mais aussi au Yémen, dans les pays du Golfe, proxy attentif de l’Iran protecteur des Chiites dans le monde.

La subtilité du distinguo entre branche militaire et branche politique ne résiste ni aux faits ni à l’analyse. L’année 2012 a été marquée par des attentats ou des tentatives d’attentats imputés au Hezbollah.

En juillet 2012, la police chypriote arrêtait un Libanais, membre du Hezbollah, qu’elle soupçonnait de préparer des attentats contre des cibles israéliennes. Une répétition de celui perpétré quelques jours plus tard en Bulgarie, visant des touristes israéliens, a été perpétré par un franco-libanais de 23 ans, Mohamad Hassan El-Husseini, lié au Hezbollah.

Sur la base de ces informations et d’autres éléments révélés par l’enquête, la Bulgarie a officiellement accusé le Hezbollah d’être responsable de cet attentat. Là encore, certains pourraient dire que ce n’était pas un attentat contre l’Europe mais contre des Israéliens, il n’empêche que l’Europe ne peut tolérer que des touristes soient assassinés sur son sol. C’est la raison pour laquelle le Hezbollah a été placé sur la liste des organisations terroristes en 2013. En 2017, les enquêteurs du FBI ont d’ailleurs établi un lien entre un projet avorté aux États-Unis et l’attentat qui a frappé la Bulgarie en 2012.

Sanctionné mais partenaire dans l’Orient compliqué

À la lumière de ces faits, il semble important de déconstruire les mythes propagés par les partisans du Hezbollah: non le Hezbollah ne mène pas seulement “une résistance populaire contre Israël”, soutenue par la majorité des Libanais de toutes confessions! Pour des raisons historiques, liées aussi à la présence de nombreux réfugiés palestiniens, il est exact que de nombreux Libanais voient, comme leur gouvernement, Israël comme un ennemi. Cet ennemi à la frontière sud justifiait initialement la détention par le Hezbollah d’un arsenal militaire en dehors de l’armée régulière. Mais ces armes ont été retournées contre l’État et le peuple libanais pour maintenir une domination communautaire.

Les multiples coups de force du Hezbollah (guerre en 2006 contre Israël, conflit de mai 2008, assassinats multiples, blocage de la route de l’aéroport, enlèvements) ont contribué à fragiliser l’économie.

Le tourisme, bien entendu interdit aux ressortissants des Pays du Golfe pour cause d’insécurité, mais ce n’est rien en comparaison du mal qu’a fait le Hezbollah au secteur bancaire.

Les sanctions américaines ont frappé de nombreuses banques libanaises accusées, à raison, d’avoir des liens avec le Hezbollah. Donc, tant que le Hezbollah restera, sous cette forme, intégré aux institutions libanaises, celles-ci ne pourront avoir accès au système bancaire américain, avec des conséquences terribles pour l’économie du pays.

En réalité, si la France fait une distinction totalement artificielle afin de pouvoir continuer à “dialoguer” avec le Hezbollah au Liban, elle le condamne sur la scène internationale. Même le Hezbollah considère cette distinction comme ridicule et ne se prive pas de le faire remarquer à ses interlocuteurs français. Les faits prouvent d’ailleurs qu’il n’y a aucune distinction entre les responsables politiques du Hezbollah et les combattants de l’organisation. Jamais un responsable politique du Hezbollah n’a pris ses distances avec une action militaire de l’organisation et les responsables politiques sont également impliqués dans l’activité militaire du Hezbollah. C’est ce que les Américains ont parfaitement compris en sanctionnant le député Muhammad Raad accusé “d’exploiter le système politique et financier du Liban au profit du Hezbollah et de l’Iran”.

Dans l’Orient compliqué de façon conjoncturelle, le Hezbollah a été un partenaire dans la lutte anti-terroriste contre l’État islamique, comme l’Iran d’ailleurs, ce qui va dans le sens des intérêts des Occidentaux. Le Hezbollah n’est pas entré en Syrie pour défendre les Chrétiens d’Orient, mais pour préserver le régime syrien qu’il voit comme la carte maîtresse de son dispositif contre Israël, et comme proxy du régime des Mollahs!

À ce stade, et compte tenu du marasme économique, social et humanitaire du Liban, il faut trouver une solution institutionnelle qui allie souveraineté nationale et intégrité du Liban et respect de la sécurité des Libanais. Des élections sur une nouvelle base non confessionnelle, l’avènement d’une troisième République mais aussi, et c’est important, le désarmement du Hezbollah, proxy de l’Iran, menace réelle pour la stabilité de la région. Enfin le contrôle strict des fonds alloués à la reconstruction, avec l’ouverture d’un bureau de la BERD par exemple, pour éviter la corruption endémique, ou le financement du Hezbollah, un peu asséché par les sanctions internationales contre l’Iran. La communauté internationale apportera ainsi une aide aux Libanais et évitera d’alimenter les activités terroristes polymorphes du Hezbollah.

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