top of page

SYRIE : LA JUSTICE ANNULE LES POURSUITES POUR « COMPLICITE DE CRIMES CONTRE L’HUMANITE »

C’est une annulation partielle des poursuites, mais une victoire quand même pour les avocats du cimentier Lafarge. La cour d’appel de Paris a annulé, jeudi 7 novembre, la mise en examen pour « complicité de crimes contre l’humanité » de Lafarge SA, accusée d’avoir financé des groupes terroristes en Syrie, pour maintenir l’activité d’une de ses usines. Un rebondissement au moins aussi spectaculaire que l’avait été la mise en examen du cimentier, en juin 2018. A l’époque, il s’agissait d’une première mondiale pour une entreprise de cette taille.

Cette décision de la cour d’appel de Paris est l’aboutissement d’un an de procédure : une requête en nullité avait été lancée fin 2018 par les avocats du cimentier. Leur succès n’est toutefois que partiel, car la chambre de l’instruction de la cour d’appel a maintenu les mises en examen du cimentier pour « financement du terrorisme », « violation d’un embargo » et « mise en danger de la vie » d’anciens salariés de son usine de Jalabiya. Soit l’essentiel de ce dossier sensible qui fait l’objet d’une information judiciaire depuis juin 2017 et où huit personnes demeurent mises en examen.

« La chambre de l’instruction a fait le même constat que nous, à savoir qu’il n’existe pas d’éléments justifiant la mise en examen de Lafarge SA pour ce crime », se sont félicités les avocats du groupe cimentier, Me Christophe Ingrain et Rémi Lorrain. « La cour reconnaît que Lafarge n’a jamais participé ni de près ni de loin à un crime contre l’humanité » et « corrigé une décision totalement infondée » des juges d’instruction des pôles financier et antiterroriste du tribunal de Paris, ont-ils ajouté lors de l’annonce de cette décision de la cour d’appel qui intervient cinq mois après l’audience où avaient eu lieu les débats.

Lors de cette audience, en juin, outre Lafarge SA, trois dirigeants du groupe contestaient leur mise en examen : l’ancien PDG Bruno Lafont, l’ex-directeur sûreté de l’entreprise Jean-Claude Veillard et l’un des ex-directeurs de la filiale syrienne, Frédéric Jolibois. La justice ne leur a pas donné gain de cause, mais M. Veillard a obtenu une réduction des charges pesant contre lui tandis que M. Jolibois a vu, selon son avocat Me Jean Reinhart, sa garde à vue annulée. Chose qui va mécaniquement provoquer de nombreux « trous » dans ce dossier judiciaire complexe aux enjeux financiers colossaux, où chaque mot compte.

« Défiance judiciaire assumée »

Cette décision de la cour d’appel intervient après la levée, en mars, de la mise en examen pour « financement du terrorisme » de l’ex-directeur général de LafargeHolcim, Eric Olsen. Cet ancien homme fort du cimentier reste mis en examen pour « mise en danger de la vie d’autrui » mais cette décision amorçait la contre-offensive des avocats de la défense après de longs mois à subir les révélations de la presse. C’est en effet à la suite des informations du Monde en 2016, ainsi que des plaintes de plusieurs associations et du ministère de l’économie que le dossier était arrivé entre les mains de la justice.

Ces coups de boutoir de la défense surviennent en outre quelques jours après que les associations (Sherpa et European Center for Constitutional and Human Rights), à l’origine des plaintes de 11 anciens salariés syriens, ont vu leur demande de constitution de partie civile jugée « irrecevable ».

De façon assez exceptionnelle, le 24 octobre, la cour d’appel de Paris a considéré que leur « objet social » n’était pas en adéquation avec les infractions visées par l’enquête. Elles entendent toutefois se pourvoir en cassation. « C’est une défiance judiciaire assumée envers les ONG et la société civile. Or, sans elles ce dossier n’existerait pas », a estimé l’avocate de Sherpa, Me Marie Dosé.

Collecte d’informations « opportuniste »

Depuis le début des investigations, la justice soupçonne le groupe français – qui a fusionné en 2015 avec le suisse Holcim – d’avoir versé entre 2011 et 2015, par l’intermédiaire de sa filiale LCS, près de 13 millions d’euros à des groupes terroristes, dont l’organisation Etat islamique (EI). Et ce, afin de maintenir l’activité d’une usine dans le nord du pays. Or ces manœuvres, en plus de contourner les sanctions internationales, auraient gravement mis en danger les employés syriens (extorsions, enlèvements, etc.), selon plusieurs témoins et salariés qui avaient porté plainte.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Financement du terrorisme par Lafarge : mode d’emploi

De façon plus large, l’instruction s’intéresse aussi au rôle de la diplomatie française et des services de renseignement dans la décision de Lafarge de se maintenir en Syrie. Certains cadres affirment qu’ils ont été encouragés à rester sur place par le Quai d’Orsay. Ce qu’ont démenti plusieurs diplomates. Un agent de la DGSI a aussi avoué une collecte d’informations « opportuniste » par l’intermédiaire de Lafarge, mais n’avoir donné « aucune consigne » de maintien dans le pays.

La mise en examen pour « complicité de crimes contre l’humanité » a pour sa part été annulée car, en droit, elle nécessite plusieurs prérequis qui n’étaient pas remplis, selon une source judiciaire. En clair, il aurait fallu que l’enquête parvienne à étayer à la fois le financement de l’EI, plus « l’intention » de participer à un crime contre l’humanité. En juin 2018, les juges d’instruction avaient eu un raisonnement différent. Ils avaient considéré que cette « intention » était caractérisée par le simple fait que Lafarge avait connaissance des crimes perpétrés par l’EI et qu’elle y contribuait en finançant divers groupes dont certains lui étaient affiliés.

RSS Feed
Nous suivre
  • Facebook Basic Black
  • Twitter Basic Black
  • Google+ Basic Black
bottom of page