APPEL A UNE POLITIQUE PHILANTHROPIQUE AMBITIEUSE
Espoir et désespoir : ce double sentiment s’est exacerbé pendant la crise majeure que nous connaissons depuis ces derniers mois
L’espoir vient d’avoir vu l’immense solidarité qui s’est développée dans le pays non seulement de manière financière mais par l’engagement des associations, des fondations, des entreprises et par une multitude d’actions individuelles pour aider ceux qui étaient dans la souffrance, le dénuement et parfois la misère, comme les personnes en situation de handicap, les personnes âgées ou isolées. Dans le même temps, l’aide a porté sur des secteurs moins en vue mais essentiel pour les enfants et les familles, afin que se poursuivent les projets, d’éducation, de culture, environnementaux, de solidarité internationale.
L’espoir de voir qu’il existe, malgré le constat d’un individualisme croissant dans notre pays, des hommes et des femmes pour faire vivre le collectif, l’engagement et la solidarité. Des citoyennes et citoyens ont prouvé à nouveau qu’ils n’attendent pas les pouvoirs publics pour s’engager pour des causes d’intérêt général. En revanche, il est de la responsabilité des décideurs publics de les soutenir, comme autant d’initiatives qui revitalisent la société en leur assurant un environnement de vie plus favorable.
Le désespoir de voir que malgré de belles paroles d’encouragement et de reconnaissance des plus hautes autorités de l’État pour « le magnifique travail réalisé », le monde de la philanthropie n’est toujours pas reconnu comme un acteur à part entière du fonctionnement de notre société.
Le désespoir de ne pas savoir pourquoi il est si compliqué de comprendre qu’une société de cohésion passe par l’action et l’engagement de tous ceux qui la composent. Essayons encore une fois de montrer l’intérêt d’un tel secteur dans une démonstration déjà faite par nombre d’entre nous mais qui semble mériter une inlassable répétition. C’est peut être un peu laborieux mais apparaît nécessaire pour éclairer le paysage.
DÉMONSTRATION
Sur le plan social
La société souffre de fractionnement, des groupes s’éloignent les uns des autres, chacun s’enferme dans des certitudes et des oppositions renforcées par les réseaux sociaux, il devient impossible de communiquer. Des forces destructrices sont en action dans ce sens. Les différents mouvements sociaux des mois passés ont montré la cassure entre un monde engagé dans la modernisation qui vit correctement et un autre monde où les populations éloignées de cette « modernité » se sentent reléguées. Elles n’ont plus de prise sur leur avenir et ressentent une réelle angoisse pour elles et leurs enfants. Elles se sentent inaudibles, invisibles et exclues entraînant un rejet de toutes les institutions incapables de donner du sens et une vision pour aller dans leur direction. C’est ainsi que la colère s’installe profondément.
Le pays a un haut niveau de protection sociale avec des prélèvements importants. Pourtant le résultat n’est pas probant, la pauvreté gagne, des zones de non droit se développent avec des situations de violence et de peur. Comment imaginer dans notre pays voir des personnes basculant dans le dénuement total avec comme préoccupation principale, celle de manger !
Ayant délégué la solidarité à l’État, chacun se sent en droit de se dire qu’il n’est pas concerné, pourtant les dispositifs d’État n’arrivent pas à irriguer les zones périphériques, la centralisation excessive complique la résolution de problèmes locaux. Nous l’avons vu pendant la crise les associations et fondations ont montré leur capacité à répondre aux besoins de proximité et l’État débordé a du largement faire appel à elles. Même les plus solides, comme la Fondation Abbé Pierre, qui usuellement ne collectent pas, ont fait appel à la générosité du public.
Quels avantages apporte le monde de la philanthropie ? Un million et demi d’associations, accompagnées par des fondations, réparties sur l’ensemble du territoire se sont souvent créées pour répondre à des besoins spécifiques, elles mettent aussi en mouvement environ 20 millions de bénévoles.
Le risque majeur pour notre pays est le délitement du tissu social. Les acteurs de la philanthropie sont un des antidotes à cette situation mortifère. Ils se battent chaque jour pour recréer du lien social, pour redonner du sens et de l’espoir à ceux qui n’en ont plus. Ils n’ont pas la prétention de résoudre tous les problèmes mais au moins d’agir où l’État ne va pas ou insuffisamment. L’action de proximité permet des réalisations concrètes de nature à redonner cette confiance disparue, recréer du dialogue, retisser le lien social (lire Cynthia Fleury).
La demande politique actuelle appelle à plus de démocratie, plus de participation citoyenne dans la vie du pays, surtout plus de proximité. Le président de la République ne s’y est pas trompé en organisant la Consultation citoyenne sur l’environnement et en choisissant un Premier ministre dont les premiers mots ont été « la proximité ». Il faut en tirer les conclusions, c’est le moment pour le Gouvernement de s’appuyer sur ces organisations flexibles, adaptables, imaginatives et souvent innovantes comme nous l’avons vu de façon éclatante ces derniers mois. Elles sont le lieu de débat à la recherche de consensus pour la construction pragmatique de réponses adaptées. À travers le temps, elles ont gagné en professionnalisme, se modernisent par une digitalisation progressive qui répond bien aux demandes des jeunes générations.
À quel moment nos gouvernants comprendront-ils cela pour enfin mettre en place une politique philanthropique ambitieuse permettant de co-construire des réponses adaptées dont certaines seraient déléguées à ces acteurs ?
C’EST URGENT.
Un rapport parlementaire récent propose trente-cinq mesures pour une philanthropie à la française, mais ces mesures mises bout à bout ne font pas une politique ambitieuse tant attendue, tournée vers l’avenir. Il faut, à côté de l’économie marchande et des services de l’État, un troisième pilier celui de l’économie sociale et solidaire dont les associations et fondations sont les acteurs emblématiques. Ce serait une reconnaissance égale de celles des deux autres.
Sur le plan économique
Le secteur philanthropique vit de subventions, de prix de journée pour les établissements, de la vente de produits et de services, de cotisations, de dons sous toutes les formes. Toutes les organisations n’appellent pas aux dons mais celles qui le font ont un équilibre financier qui repose sur cette ressource et ne peuvent mener des actions que grâce à cela.
Entre 2017 et 2018, le montant des dons reçus par les associations et fondations françaises a baissé en moyenne de - 4,2 %, ce qui représente une baisse significative après une progression constante des dons entre 2013 et 2017 de + 9 % ; les montants des dons reçus dans le cadre des dons IFI 2018 avaient baissé de 54 % par rapport aux dons ISF de 2017 soit une perte estimée de 130 à 150 millions d’euros.
Enfin on assiste à une baisse des dons de donateurs fidèles. Au mois d’août 2018, 18 % des donateurs retraités déclaraient avoir d’ores et déjà réduit leur générosité du fait de la hausse de la CSG et 20 % des donateurs retraités confiaient avoir l’intention de réduire leurs dons.
Les dons régressent par l’adoption de mesures fiscales restrictives réduisant les marges de manœuvre. La crise actuelle dont les effets économiques seront majeurs, avec un chômage en croissance forte, pénalisera lourdement ce
secteur aux équilibres précaires. Les premiers retours laissent penser que nombre d’associations sont en difficulté et peuvent disparaître. Ce seront mille lumières d’espoir qui s’éteindront avec des conséquences sur l’emploi et surtout sur les dizaines de milliers de personnes soudain sans accompagnement.
Il est grand temps que ce secteur soit considéré comme un secteur économique à part entière avec un ministère dédié comme l’est l’agriculture, l’artisanat, l’industrie par exemple. Pour tous ces secteurs il existe des avantages fiscaux pour les aider à faire face à des coûts de production trop chers ou pour stimuler les ventes comme par exemple pour les automobiles.
Ces mesures favorisent l’offre pour relancer la demande, c’est bien nécessaire à l’économie, c’est même urgent.
Pour notre secteur c’est l’inverse, la question de la demande ne se pose pas car elle est immense et variée. Les besoins se situent au niveau de l’offre corrélée aux capacités de financement des projets à mettre en œuvre. La demande d’aide est urgente et indispensable.
Dans le paysage socio-économique français le poids du secteur associatif est souvent mal connu pourtant il est important et dynamique :
183 000 associations sont employeuses, soit 14 % des associations avec une force de frappe significative : 2,5 millions d’ETP (Équivalent Temps Plein) avec 1,5 million d’ETP salariés (1,8 million d’emplois) et 1 million d’ETP bénévoles (environ 20 millions de bénévoles).
un poids économique non négligeable 125 milliards d’euros de valeur ajoutée : soit 85 milliards d’euros de budget : 3,2 % du PIB français auquel on peut rajouter 40 milliards d’euros de valorisation du bénévolat, l’ensemble pesant 5 % de la masse salariale totale des emplois publics et privés en France.
Il n’est plus possible que chaque année il faille défendre la fiscalité qui permet d’agir. Certains parlementaires et conseillers de Bercy répètent que le dispositif est trop généreux. Ceci est en général assorti de l’expression « c’est une dérive du coût fiscal ». Ces assertions doivent être contredites avec force.
Car lorsque l’État accorde une déduction fiscale de 66 % sur un don de 100 euros, il attire 34 euros de contribution complémentaire à l’impôt que paye volontairement le contribuable. Ces dons permettent de trouver des financements complémentaires, ils ont aussi un fort effet levier.
Le retour pour l’État n’est pas négligeable. Il n’y a pas de récupération de la TVA soit 20 % rendus sur tous les achats payés, il y a aussi ainsi la taxe sur les salaires. Quant aux emplois, ils ont l’avantage de ne pas être délocalisables et répartis sur tout le territoire national et cela au profit d’actions de solidarités. L’utilisation d’emplois jeunes ou de bénévoles permet d’assurer des formations ainsi qu’une sensibilisation à la philanthropie.
C’est donc plus qu’une dépense mais un investissement rentable aussi bien sur le plan social qu’économique dont il n’est jamais tenu compte dans la valeur ajoutée de la philanthropie.
Il faut arrêter de penser que l’État porte les associations. Il a un devoir de financeur, puisque la plupart remplissent une mission sociale qui, sinon, lui reviendrait. Mais au-delà du devoir c’est un principe de réalité que de s’appuyer sur des actions qui fonctionnent et qu’il ne pourra plus jamais prendre en charge.
Le remaniement ministériel ne semble pas être un signe éclatant de la prise en charge ou non de la philanthropie.
Dernier espoir : être entendu par quelqu’un !