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À BREHAT, « NE PLUS ATTENDRE QUELQUE CHOSE QUI NE VIENDRA PAS »


Le bateau s'amarre à la cale et quelques rares voyageurs surgissent des ruelles adjacentes. Un tracteur apporte le courrier, sitôt chargé sur le pont avant. C'est dans un silence pesant que le Khéops assure la traversée de quelques minutes entre l'île de Bréhat et le continent. L'embarcadère est vide et l'île est, en ces derniers jours d'avril, comme assoupie.

BREHAT

Signe qu'un calme inhabituel règne sur les lieux, « des bancs de dauphins et des cormorans se sont approchés du bateau », remarque le pilote François-Didier Petibon.Le bateau qui entretient un lien ténu avec la terre ferme est réduit au service au minimum depuis le 17 mars : trois rotations, au lieu de dix en basse saison. Certains voyageurs lisent dans leur voiture en attendant le prochain départ. À bord, la majorité des sièges ont été condamnés pour garantir le respect des distances minimales de sécurité entre les rares passagers. Bréhat, habitée par 350 personnes à l'année, abriterait en ce moment environ 1 500 personnes, contre 4 500 l'été. L'île qui vit essentiellement du tourisme se prépare à un été catastrophique.Alice et Charles sont assis à la proue. Ils s'en vont faire quelques courses à Paimpol, à quelques kilomètres de là. Les trentenaires tiennent plusieurs restaurants sur l'île, dont une pizzeria qu'ils s'apprêtent à rouvrir pour de la vente à emporter et un tabac, ouvert une heure par jour. Depuis la mi-mars, ils ont eu le temps de profiter de leur maison, de leur jardin, et de faire le tour de leurs incertitudes. « Le plus difficile, c'est d'attendre sans savoir. Nous avons décidé de limiter la casse en arrêtant d'attendre quelque chose qui ne viendra probablement pas », explique la jeune restauratrice. Elle a renoncé à faire venir les 10 saisonniers qu'elle devait recruter. « Si le bateau ne peut pas transporter plus de 50 personnes à la fois, la saison sera plantée. On s'y attend », ajoute-t-elle, fataliste. Les faits risquent, hélas, de lui donner partiellement raison.

Au pic de la saison touristique, les cinq bateaux de la compagnie des Vedettes de Bréhat peuvent transporter jusqu'à 5 000 visiteurs sur l'île en une journée. En début de saison comme aujourd'hui, les bateaux devraient transporter 40 000 passagers par mois. « On en a transporté moins de 3 000 sur le mois », explique Anne-Lise Corlouër, gérante de la société. Le chiffre d'affaires a suivi, passant de 390 000 euros en mars 2019 à… 2 300 pour mars 2020. La dernière fois que l'activité s'est effondrée dans de telles proportions, c'était en 1974 avec le naufrage de l'Amoco Cadiz. Et encore, un tourisme de curieux venus contempler l'étendue des dégâts avait permis de sauver la saison.Son mari, Didier Corlouër, est un homme impatient. Voilà trois semaines qu'il piaffe pour connaître le contenu du prochain décret du ministère des Transports. C'est ce texte qui fixera les obligations faites au transport maritime. « En attendant, on limite toujours la capacité à 25 % de la jauge maximale », explique-t-il. Comme sur toutes les îles, certains ont craint que les citadins venus se confiner dans leur résidence secondaire n'apportent le virus. Sur les réseaux sociaux, la responsabilité de la compagnie a même été mise en cause… « Nous avons aussi mis en place des horaires pour rendre service aux insulaires et dissuader les promeneurs, mais nous ne sommes pas gendarmes, nous n'avons pas le droit de refuser d'embarquer des passagers qui viennent se confiner chez eux », rappelle-t-il, précisant que les tensions qui ont pu se manifester sur l'île au début du confinement provenaient davantage du fait que certains résidents s'y comportaient plus comme des vacanciers que comme des confinés. Les querelles sont désormais terminées et hormis un cas de Covid, Bréhat est restée à l'abri du virus. Le plus dur reste à venir. Malgré le retour du soleil, l'été 2020 s'annonce morose.

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