VARSOVIE : UN REVE POLONAIS SANS LGBT MAIS, AVEC ANDRZEJ DUDA
Réélu sur le fil, le président Andrzej Duda va prêter serment ce jeudi. Ses partisans espèrent consolider une révolution conservatrice qui passe notamment par une politique homophobe.
Quand la voiture dépasse le panneau de bienvenue de Wilamowice, petite ville de Silésie, rien ne retient l’attention. Mais Slawomir Kokol et Aleksandra Glowacka, deux militants LGBT de la ville voisine de Bielsko-Biala, n’oublient pas que le village est une «zone sans LGBT». «L’entrée n’est pas interdite aux homosexuels. Mais c’est comme si les autorités donnaient les moyens à quiconque de te discriminer», explique Slawomir. «Tu n’es pas le bienvenu», renchérit Aleksandra. Devant l’église, symbole d’un pays où l’influence catholique et les idéaux conservateurs sont encore prégnants, les activistes décrivent les contraintes en vigueur dans ces zones, qui représentent près d’un tiers du territoire polonais: «Il faut être courageux pour vivre ici. Tu ne peux pas être toi-même», déplore la jeune femme. «Nous voulons seulement pouvoir nous marier et vivre normalement, sans devoir nous cacher», résume son collègue.
Le président Duda, sauveur inespéré de la démocratie polonaise
Après une campagne d’une violence inouïe, orchestrée par le Parti ultraconservateur et populiste Droit et Justice (PiS), au pouvoir en Pologne, les résultats du premier tour donnent un large avantage au président sortant, Andrzej Duda, face au maire libéral de Varsovie, Rafal Trzaskowski. Le deuxième tour aura lieu le 12 juillet.
Ce second tour, entre deux candidats âgés de 48 ans, était loin d’être assuré : au plus fort de la pandémie, et à la veille du scrutin qui théoriquement aurait dû se tenir au mois de mai, le président Andrzej Duda, candidat du PiS à sa réélection, était donné réélu dès le premier tour. Et ce par tous les sondeurs, avec 60% des suffrages, contre une candidate libérale, Malgorzata Kidawa-Blonska, en perte de vitesse. Au point, le 15 mai, d'obliger sa formation, le principal parti d’opposition, la Plate-forme civique (PO, centre droit) à changer de tête d'affiche in extremis. Et d'opter pour le jeune maire de Varsovie, Rafal Trzaskowski. Normal : confinement oblige, les autres concurrents étaient dans l’impossibilité de faire campagne et le chef de l’Etat, omniprésent à la télévision publique, où il était présenté sous son meilleur jour, profitait d’un battage éhonté.
Contraint par son partenaire de coalition à reporter le scrutin à ce 28 juin, le PiS, soutenu par la très influente Eglise catholique, a alors lancé une offensive télévisuelle ultraviolente contre le nouveau candidat de la PO. Le procédé a rappelé les pires heures de l'époque communiste, quand la propagande officielle pourfendait quotidiennement l’anti-socialisme. Le journal télévisé de la chaine publique et gratuite, à la différence des chaînes privées, et donc seule « source d’information » de nombreux Polonais, accusait Trzaskowski tour à tour d’anti-polonisme, ou pire : de vouloir « détruire la Pologne » ! Contre une mythique Pologne traditionnelle, le maire libéral de Varsovie chercherait à promouvoir, tour à tour « l’idéologie LGBT », les intérêts de l’Allemagne, voire de restituer massivement leur patrimoine spolié aux juifs, au détriment des Polonais… « La télévision d’Etat polonaise, surnommée TVPiS, fait ressembler Fox news à Radio Canada. Face au défi Trzaskowski, elle a atteint de nouvelles profondeurs », résume l’éditorialiste britannique polonophile Timothy Garton Ash.
LES ANTI-PIS ONT VOTÉ UTILE
Cerise sur le gâteau, dans un pays très atlantiste, Donald Trump a reçu « son ami » Andrzej Duda à la veille du scrutin ! Il n'est guère étonnant que, soumis à un tel matraquage, 43,7% des Polonais aient voté pour le président sortant. Et il est remarquable, que dans de telles conditions, Trzaskowski ait recueilli 30,3% des voix. La participation a été importante, frisant les 63%, soit 10% de plus qu'à la dernière présidentielle. Il semblerait que les anti-PiS aient voté utile. Ainsi, très populaire quand il s’est lancé dans la campagne, le candidat indépendant de gauche, Robert Biedron, ouvertement homosexuel, n’aurait recueilli que moins de 3% des voix.
Beaucoup d’analystes s’interrogent désormais sur la capacité du maire de Varsovie, représentant d’un parti néolibéral qui n’a pas laissé que des bons souvenirs aux Polonais, à recueillir un nombre suffisant de voix anti-PiS pour battre Duda au second tour. Face à la violente campagne contre lui, Trzaskowski, dont le slogan était « on en a assez », a misé sur la nécessité d’unir les Polonais, plutôt que les diviser. Jouant sur la fibre pro-européenne de 90% de ses concitoyens, il a promis d’apaiser les relations avec Bruxelles, qui a entamé des procédures contre Varsovie, et menace de réduire ses aides, à cause des graves enfreintes à l’état de droit menée par le PiS. Il promet surtout d’assumer le rôle d’arbitre, à la tête de l’Etat polonais, que n’a jamais joué Duda, tout entier soumis au PiS. L’enjeu du second tour, le 12 juillet prochain, est bel et bien de freiner la dérive populiste de la Pologne, en rétablissant l’équilibre des pouvoirs détruit par le PiS...
Un président par défaut ?
Dernier dimanche de campagne. Ce 5 juillet, à Nowa Deba, petite bourgade de 10 000 habitants en Basse-Silésie, dans le sud-est de la Pologne, le président sortant Andrzej Duda, candidat à sa réélection, fait face à un bataillon de jeunes volontaires en uniforme venus prêter serment. Les recrues, dont le visage tourne au cramoisi sous le soleil de plomb, font partie des nombreuses brigades de « défense du territoire » créées par le parti national-conservateur Droit et justice (PiS), et particulièrement populaires dans les campagnes où insignes et galons sont synonymes de prestige social. « La famille est une valeur fondamentale au sein de laquelle le patriotisme se transmet depuis des siècles », lance le chef de l’Etat, qui exerce ici, en tant que chef des armées, l’une de ses rares prérogatives.
Mais contrairement aux apparences, le scrutin de dimanche 12 juillet n’est pas perçu comme le second tour d’une élection présidentielle classique, mais comme un référendum pour ou contre la « révolution conservatrice » menée depuis cinq ans par le véritable homme fort du pays, Jaroslaw Kaczynski. A 71 ans, ce dernier, bien que simple député et chef de la majorité, tire les ficelles de toutes les décisions stratégiques prises au plus haut sommet de l’Etat.