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LIBAN : NOUVEAU MARTYRE A BEYROUTH, LA CITE DES PLAIES A PANSER SANS FIN

La tragédie qui touche la capitale libanaise arrive en pleine pandémie et dans le contexte d’une économie exsangue. Les citoyens ne croient plus en leurs autorités, dont ils fustigent l’incurie et la corruption. Les médias dénoncent un chaos indescriptible, qui vire à l’apocalypse.

«Toutes les conditions étaient réunies pour qu’une explosion se produise», titre Paris Match. Mais «sous le rouleau compresseur» qui ne «laisse aucun répit» aux Libanais qui sont «venus au monde dans ce pays de toutes les promesses, de toutes les détresses», ceux-ci ont «appris à relever la tête, à [se] remettre debout, reconstruire ce qui a été détruit, panser ce qui a été blessé, enterrer ce qui est mort et reprendre la vie là où elle s’est arrêtée».

Ces lignes déchirantes de L’Orient-Le Jour sont pleines d’espoir, mais «alors que depuis deux jours les rues résonnent de ce fracas métallique si caractéristique des lendemains de catastrophe, si familier depuis que nos vitres tombent, depuis que les agressions se succèdent», le quotidien de Beyrouth songe aussi que «c’est le coup de trop pour des êtres épuisés d’enterrer, de panser, de reconstruire. Pour la crise économique, on s’était organisés, veillant de notre mieux à ce que la nourriture ne manque dans aucun foyer. Pour la pandémie, on s’était adaptés, masques, hygiène, distanciation»…

Mais que par-dessus le marché une explosion détruise un périmètre de 17 km […], endeuillant tout le pays; et qu’il s’avère qu’elle résulte de négligence, de passe-droits, de trafics, d’abus de pouvoir ou les trois, […] c’est plus qu’on ne peut contenir

Au moins 135 morts, 5000 blessés et de nombreux disparus: les Libanais sont abasourdis au surlendemain des énormes explosions causées par les tonnes de nitrate d’ammonium qui étaient stockées au port de Beyrouth et ont dévasté des quartiers entiers. «La situation est apocalyptique, la ville n’a jamais connu ça de son histoire», a lancé le gouverneur de la capitale libanaise, Marwan Abboud, qui a éclaté en sanglots mardi devant les caméras. Environ 300 000 personnes sont aussi désormais sans domicile. De quoi susciter une énorme émotion, qui dépasse largement les frontières du pays du Cèdre, surtout avec ces images effarantes:

Dans la nuit de mercredi à jeudi, les secouristes ont continué à chercher des survivants parmi les décombres et ont notamment retrouvé un enfant encore vivant 24 heures après la catastrophe. «Une lueur d’espoir dans un paysage ravagé, alors que le gouverneur a évalué les dégâts à plus de 15 milliards de dollars, un montant ingérable pour une économie déjà en faillite», selon le site le site ArabNews.com. Le président du syndicat de la construction estime qu’environ 50 000 bâtiments ont été détruits ou endommagés. «Le Liban n’en finit plus de panser ses plaies», titre la Tribune de Genève.

La panique, puis la rage

«L’exaspération et la méfiance des Libanais envers leurs dirigeants, exprimées depuis des mois dans les rues du pays», sont ainsi «encore exacerbées», dit Courrier international. «La rage a [donc] succédé à la panique. […] Les Libanais veulent savoir comment plus de 2700 tonnes de nitrate d’ammonium ont pu être stockées» ainsi. Mais «ils ne comptent pas sur leurs dirigeants pour leur fournir des réponses». Ils ont perdu toute confiance en eux. «L’enquête ouverte par le gouvernement, qui a promis un rapport dans cinq jours et assigné à résidence les responsables du port, suscite le scepticisme», selon El País, auquel un citoyen en colère déclare:

Ce sera comme toutes les enquêtes, elles seront enterrées, car il y a toujours quelqu’un de haut placé qui se retrouve impliqué

La tragédie «semble symboliser tout ce qui ne va pas au Liban», observe aussi le Washington Post: «Un Etat faible, un gouvernement incompétent, des responsables corrompus et, comme beaucoup l’affirment, l’existence d’un Etat parallèle dirigé par le puissant mouvement Hezbollah et d’autres factions, qui utilisaient le port pour des opérations de contrebande.» Pire que la mafia, alors que «des voix s’élèvent pour réclamer une enquête indépendante», rapporte le Daily Telegraph. Et alors que l’arrivée imminente du président français sur place suscite déjà l’ironie:

Cité par Eurotopics.net, le quotidien croate Jutarnji list émet l’hypothèse selon laquelle le nitrate d’ammonium contenu dans le bâtiment qui a explosé ait pu être destiné à la fabrication d’explosifs: «Le Hezbollah, grâce à sa liaison terrestre avec l’Iran, s’est procuré un arsenal de missiles gigantesque capable d’anéantir Israël. C’est pourquoi on ne saurait exclure la possibilité qu’un agent local [du Mossad] ait sous-estimé la magnitude de la déflagration, quoi que disent les résultats de l’enquête officielle. […] Peut-être s’agit-il vraiment d’un accident. Le cas échéant, c’est la conséquence du chaos qui règne sur ce pays, d’un Etat qui n’est même pas en capacité de surveiller un entrepôt d’engrais chimique.»

«Quand le soleil se lèvera, Beyrouth, ma ville, n’existera plus»: citant L’Orient-Le Jour, Le Devoir de Montréal voit bien aussi que «Beyrouth telle qu’elle était n’existe peut-être déjà plus, sauf que les indélogeables chefs de clan qui se partagent le Liban, eux, restent. […] Au sortir de la guerre civile (1975-1990), le Liban s’est doté d’un système politique confessionnel censé garantir une représentation équitable de chacune des communautés religieuses – chiite, sunnite, chrétienne et druze. Or, cet arrangement a fini par paralyser complètement la vie politique, les chefs de clan défendant moins le bien commun que les intérêts des leurs, pendant que le pays a continué d’être le terrain de toutes les ingérences extérieures possibles, à commencer par celle de l’Iran par l’entremise de l’incontournable Hezbollah.»

Les Libanais en font donc les frais, «forcés de composer avec un appareil d’Etat froidement corrompu et clientéliste. Les grandes manifestations anticorruption et anticommunautaristes de l’automne 2019 ont bien suscité un certain espoir, menant à un changement de gouvernement. Mais sans parvenir à casser les dynamiques oligarchiques du pouvoir dans lesquelles le Liban est enfermé. Aussi, dans un pays où l’impunité fait loi, qui croit vraiment que le premier ministre Diab tiendra sa promesse de faire en sorte que les responsables du drame aient à «rendre des comptes»? […] Raison de plus pour le monde […] de venir en aide aux Libanais dans ces moments difficiles et de se montrer solidaire de la peine et de l’inquiétude de tous ceux et celles qui, ici, s’inquiètent pour le sort de leurs proches et de leurs amis qui sont là-bas»…

... Le coup porté aux Libanais est d’autant plus atroce qu’il est cumulatif. Ils ne savent que trop bien qu’ils continueront de subir les effets tant, bien entendu, qu’ils n’auront pas réussi à déraciner les causes

D’ailleurs, «que ce soit en Europe, en Amérique du Sud, en Afrique ou ailleurs», la presse qu’a lue France Culture «manifeste sa solidarité»: «Aider le Liban, c’est bien sûr la thématique principale» d’articles publiés aux quatre coins du monde. Car il faut bien s’en rendre compte: «J’ai eu l’impression d’assister à des scènes de guerre», dit à L’Obs Arthur Sarradin, journaliste indépendant et réalisateur dans la capitale libanaise.

«Ils nous ont menti»

«Quelle tristesse, quel malheur, c’est un scandale!» renchérit Rana Aboumrad, une résidente de Beyrouth qui a vécu la tragédie et «ne manque pas de mots pour qualifier les explosions qui ont déchiré la capitale libanaise. Tout le monde est sous les décombres», lâche au Journal de Québec celle dont la maison a été dévastée par les déflagrations: «Les portes ont disparu, le frigidaire a explosé, le plafond s’est effondré et fissuré. Les fenêtres ont disparu, les armoires se sont effondrées. Les vitres se sont cassées. Il n’y a plus de volets, plus de rideaux.» Elle dénonce le «mépris» du gouvernement du Liban, qu’elle qualifie de «régime politique criminel et terroriste»: «Ils nous ont menti, ils nous ont volés. Maintenant, ils nous ont tués. Les cadavres sont partout, les gens sont perdus», ajoutant que la situation était «tout aussi catastrophique du côté des hôpitaux».

Mais «comment venir efficacement au secours de ce pays en détresse?» se demande Le Nouvelliste. «Le DFAE cherche la meilleure façon d’agir. Son chef, le conseiller fédéral Ignazio Cassis, a présenté ses condoléances aux autorités et au peuple libanais. […] L’Aide humanitaire de la Confédération examine la possibilité d’envoyer sur place une assistance humanitaire. […] Ce jeudi matin, nous allons détacher, dans la capitale libanaise, une équipe d’experts afin de soutenir notre ambassade, laquelle a subi d’importants dégâts matériels, explique le DFAE. Un avion de la Confédération décollera de l’aéroport de Bern-Belp avec, à son bord, une dizaine de personnes, dont des ingénieurs, des spécialistes en infrastructures, un conseiller en sécurité, un logisticien, un responsable de télécommunications et une psychologue.»


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